samedi, janvier 14, 2012

Le train des ministres

En dépit du temps passé, plus d'un mois, depuis la victoire du PJD aux premières élections sous la nouvelle Constitution elle-même résultant du mouvement de protestation du 20 février, les faits et gestes des islamistes continuent de retenir l'attention ça et là, suscitant parfois même la stupéfaction. Et si les discussions entre Marocains avaient encore besoin de sujets pour les alimenter, tout indique que les ministres du PJD remplissent parfaitement cette fonction et créent l'évènement au sujet duquel  les avis divergent sur le fonds, tout en étant unanimes à considérer son importance et son attractivité.

Cette semaine, deux confrères, au moins, ont déclaré que le chef du gouvernement les avait personnellement contactés. Le premier est Younès Meskine, du quotidien "Akhbar Alyoum", qui a consacré une pleine chronique en Une du journal de Taoufik Bouachrine, dans laquelle il explique : "Il est 23 heures, en cette journée de nomination  du gouvernement Benkirane ; le téléphone sonne… Je réponds : oui, Bonsoir… Ici Abdelilah Benkirane". Surprise… Meskine poursuit :" Benkirane marque alors un temps, puis me demande : pourquoi dis-tu le chef du gouvernement ? Qui est le chef du gouvernement ? C'est Abdelilah Benkirane, et c'est lui-même qui te parle en cet instant, il n'a pas changé, et rien n'a changé ; tu peux continuer de m'appeler comme tu le faisais avant".
 
Le confrère Mokhtar Ghzioui, d'al Ahdath al Maghribiya, à son tour, a décidé de rendre publique la communication téléphonique qu'il a reçue du chef du gouvernement Benkirane, en écrivant dans sa chronique quotidienne du journal de Si Mohamed Brini : "Lorsque j'ai reconnu sa voix au téléphone, lundi dernier, et qu'il m'a entretenu d'un sujet qui avait été publié dans le numéro du même jour, j'ai compris que désormais, nous avions un chef du gouvernement qui sait parfaitement la portée de ce qui s'écrit dans la presse de son pays, et qu'il sait aussi, à travers quelques gestes symboliques qui ne nécessitent que quelques secondes et autant de centimes, transmettre un message, le message que nous attendions tous, et qui est que ce que nous écrivons ne se disperse pas aux quatre vents, mais que, au contraire, il arrive à ses destinataires. Et c'est exactement ce que nous voulions".
 
Et il est absolument certain que ce type de communications directes de Benkirane ou de ses ministres avec la presse sont beaucoup plus nombreuses, même si elles n'ont pas tous été dévoilées à l'opinion publique.
 
Ce changement, qui n'a pas encore été vraiment assimilé par des confrères persuadés des décennies durant que leurs paroles partaient dans les limbes, vient simultanément avec d'autres comportements ministériels inédits. Ainsi donc, cette image du chef du gouvernement plongé dans sa prière rogatoire, agenouillé dans les rangs arrière sur une simple natte avec ses chaussures à bon marché posées près de lui ; ainsi donc, aussi, cette décision, quasi- officielle, des ministres PJD, portant sur la non utilisation de leurs véhicules officiels pour leurs besoins personnels, des véhicules officiels qui ne seront naturellement pas de la même cylindrée que ceux de leurs prédécesseurs. Le ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement, continue d'emprunter le train entre les deux capitales, administrative et économique, à l'instar de son collègue de la Justice et des libertés, Mustapha Ramid, qui habite à Casablanca et travaille désormais à Rabat. Et la liste n'est pas exhaustive, comme par exemple, encore, le fait pour les ministres PJD de ne pas déménager de leurs humbles logements pour aller dans les villas de fonctions dont ils disposent désormais et qui, à travers tous ces gestes, souhaitent modifier l'image du ministre auprès de l'opinion publique marocaine. Y ont-ils réussi ?
 
Pas nécessairement, car toutes ces initiatives n'ont pas toujours été favorablement accueillies, et les principaux concernés ont eux-mêmes été meurtris par les réactions négatives, justifiant cette saillie de leur quotidien Attajdid du 9 janvier :
 
"Ce ne sont pas moins de cinq journaux qui, hier lundi, ont œuvré à réduire la portée de la symbolique du comportement des ministres PJD dans leur relation avec les citoyens et les fonctionnaires de leurs administrations.
Le plus étrange n'est pas la critique de l'attitude des ministres en elle-même, mais la simultanéité des éditoriaux concernés et des positions des journaux. Le plus étonnant, également, c'est de voir réduite la portée de ces gestes, réduite la volonté de n'utiliser les véhicules officiels qu'avec parcimonie, réduite la portée d'adopter une politique de proximité avec les populations et d'abandonner à l'inverse un comportement hautain avec les mêmes populations, réduite la symbolique de "prier sur une simple natte en compagnie de gens ordinaires", réduit l'intérêt pour les petits fonctionnaires... Ce qui est demandé, en revanche, c'est d'"entreprendre des efforts de réflexion", avant même la présentation du programme gouvernemental, pour affronter les grands problèmes que connaît le Maroc...
La simultanéité du traitement médiatique et la convergence des messages négatifs distillés à travers cette couverture suscite en effet plus d'une interrogation, comme savoir qui sont les perdants de cette politique inaugurée par les ministres PJD, auxquels cette couverture apporte, volontairement ou pas, un certain crédit..." (voir panoramaroc.ma).
 
L'un des bienfaits principaux de ces changements dans les comportements est qu'ils arrivent à intéresser la population à la politique et aux politiciens, et qu'ils donnent une autre saveur au fait ministériel, rapprochant d'autant le Marocain moyen du responsable qui, de tous temps, a été imposant et hautain. Quant à l'impact de ces gestes sur les grands problèmes que connaît le Maroc, il est insignifiant en raison du fait qu'une trentaine de villas aussi cossues soient-elles, et autant de véhicules, quelles que soient leurs cylindrées, ne peuvent vaincre le fléau du chômage ni triompher du gouffre de la Compensation. Par exemples…
 
Si nous devions, maintenant, couper la poire en deux, nous dirions aux ministres PJD qu'ils doivent préserver le prestige de leurs fonctions, en prenant seulement garde à ne pas verser dans l'excès et le gaspillage, comme cela a été le fait du non regretté Moncef Belkhayat. Mais si le ministre se met au rang du "troufion", il ne réussira qu'à tuer toute ambition dans l'esprit du fonctionnaire qui renoncera même à déployer les efforts nécessaires pour accéder à la tête de sa division s'il voit que même le ministre évolue dans une situation matérielle pareille à la sienne. Etre ministre est en effet une consécration, mais aussi un fardeau, ainsi qu'une attente pour des millions de Marocains, et cette peine, comme toute peine, mérite salaire.
 
 Globalement, nous pouvons dire que nous sommes au seuil d'un Maroc nouveau, et dans l'attente de résultats d'un genre nouveau. Que Dieu soit à l'écoute et apporte son aide à tous et à chacun.

Al Ayam, par Noureddine Miftah

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